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Immobile

by Francis Rossignol

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1.
Chapitre 1. -Le sofa blanc.
2.
01 00:40
01-Mon voisin est immobile.
3.
02 00:40
02-Il m’est impossible d'apprécier l'altération que je désire m'infliger en cette matinée pluvieuse.
4.
03 00:40
03-Cet être est blanc.
5.
04 00:40
04-Il dort debout sur du gazon sec, jauni.
6.
05 00:40
05-Sa figure cireuse semble définitivement ravagée par l’oubli.
7.
06 00:40
06-Je décèle par une petite fenêtre l’éclat scintillant du soleil sur une de ses larmes argentées. Cette lumière m’égare. Cette lumière m’aveugle.
8.
07 00:40
07-Je touche du bout des doigts un sofa de cuir froid.
9.
08 00:40
08-Je contemple l’obscurité du plan intérieur de mon corps. Vacillant, je me répète sporadiquement ces mots qui me font dériver là où ma voix éveillera cette photographie.
10.
L'olive 02:20
Chapitre 2. –L’olive. Je crie : olive noire dans la tourbe, jour de pleine lune ! Penché ivre mort sous les rayons lunaires qu’une olive absorbe sans appétit, je culbute là où vole une libellule. Je remarque qu’elle est le plus rapide et le plus lent des insectes. Je pleure des lames ! Une lame touche l'olive noire et l’a fait basculer du côté droit en me laissant voir sa chair pourrie. Moi qui avais eu l'idée de la dévorer. Je me serais trompé. Je me serais donné le goût de vomir du froid. Je me laisse pourtant parcourir le sol par la force tourbillonnante de l'alcool de poire et m'exclame une touffe d'herbes dans la bouche : « l'olive est dans ma main pour vous, pour vous qui oubliez aveuglément dans l'obscurité. » Dans la profondeur de la forêt, l'écho de cette plainte me rappelle que je suis encore plus idiot que je ne l'imaginais et de là, je tombe en riant à gorge déployée sur la boue sèche qui couvre le sol. Une main tiède caresse mes cheveux, une autre mon front. J'ouvre péniblement les yeux et vois une femme assise dans l'herbe. Je constate que je souffre énormément car elle m'est inconnue et que ma bouche abonde de blessures infectées. Tous mes efforts pour me relever sont dès lors anéantis par la douleur. Cloué au sol, je vois à ma grande joie la petite culotte blanche de ma bienfaitrice qui montre d'obscures boucles. Cette vision idéale m'achève. Je tombe une seconde fois dans la douleur, dans le délice pour un temps qui m'est encore inconnu. Mon oeil crépitant contemple un brouillard profond où m’apparaît une femme dans un lit blanc. Tout en s’agitant dans un mouvement de violence insatisfaite, elle virevolte dans un déchirement de trous. Simulant un profond dégoût, je m’éveille en participant à cette vision morbide, à cette action lubrique. L'olive se réduit en bouillie dans mon poing laissant couler un jus amer. La bienfaitrice me dit, à bout de souffle, les lèvres molles : Je vous ai vu la nuit dernière. - Qu'avez-vous vu ? - Est-ce que ça va maintenant ? Elle me prend doucement la tête et m’embrasse goulûment sur la bouche. Mes blessures se fendent progressivement sous la pression provoquée par certains spasmes de jouissance. Elle jouit et hurle d’absurdes promesses dans ma bouche ensanglantée. Tout en me délivrant de cette prise, elle tombe morte. Me tordant de douleur, je m’excite de cette blancheur, de ces multiples courbes lisses et humides. Poussé au paroxysme, du sang gicle de mon petit sexe brun à même ses cheveux que j'adore. Ses cheveux absorbent ce liquide en créant de superbes formes. Glissante de sueur, elle me sourit vaguement. Je me penche sur son sein noir pourpré de rose pour entendre son coeur qui ne bat plus. Elle me dit : Touche ça ! Touche ! Tu n'as pas réussi à me convaincre. Quitte ce lieu et n'y revient plus ! Retourne-toi et ne revient plus jamais.
11.
La boîte 02:20
Chapitre 3. -La boîte. Je me retourne sans faire de bruit : l'horizon chargé de brume dévoile la kermesse ambulante. C'est l'automne. La musette, cette drôlerie funeste. Sons de fanfare, cymbales stridentes, tambours et retentissements clinquants sur une terre recouverte de feuilles trépassées. Tous ces manèges, les cris, les sourires fendus, les sucettes de sucre d'orge collant, le pitre flexible, le marin aux muscles soufflés. Le maître de cérémonie hurlant, gorge béante : Hé ! Vous ! Nous sommes là ! Nous voilà : croc de bois, amusement, rire, lion luisant, éléphant tôt, singe fou et funambules en piste ! À même ce cirque incandescent, la foule, bouche voûtée, yeux froissés, observe curieusement la boîte à surprises qui dévoile rapidement les numéros : d’un clown qui plonge dans la farine sans répit, d’une couleuvre rayée qui pousse un renard dans l'eau bouillante, d'une ballerine qui tient en équilibre sur un sein, d'un colosse qui soulève une plume de marbre d'Italie, d'un nain qui jongle avec dix oignons dans un cube de verre, et celui du guignol et de l'avaleur de scie mécanique. Le public bucolique, ne pouvant cesser de rire et de pleurer, semble définitivement déchiré par l'ivresse de ce dispositif fulgurant qui dévoile sans attendre la parade de clôture. Elle s’enfonce sans bruit dans la boîte pour les laisser en plan dans l'estrade, au centre de ce paysage lumineux qui entoure leur village. Dans ce vent humide, la bienfaitrice vêtue d'écarlate saisit la boîte et se met à courir pour s’enfoncer dans la forêt de conifères en proclamant de souples incantations. J'accours pour l'attraper, elle, dans le champ de seigle, dans le vent de la plaine ocre où l'on retrouve une musique à l'infini. Elle bouge, rapidement, sans me regarder et se glisse dans un grand terrier noir. J’avance avec stupeur et dégoût du trou. Je m'y enfonce pourtant avec une raideur de plomb. Je ressens autour de moi les parois sales et rugueuses où elle se cache, déformée par le temps humide. Glissant comme l'argile, elle se sculpte une fissure dans la roche en laissant dépasser son vagin noir. La rattrapant, je lui enfonce sans retenue une pierre froide dans la profondeur de son corps, en ricanant. Immédiatement, des cris stridents se font entendre dans le terrier. Excité par le délit, je bouffe cette motte qui est emplie de muqueuses et lèche les pourtours de ses lèvres qui sont gonflées de sang. Un délice me couvre le visage. Cette femme sadique, que je nomme indécemment, n’est pour moi que chevelure, yeux, odeur. Elle est en fait qu'une chatte ondoyante gémissant par l'entremise d'une sonorité fluide provoqué par l’impact de mes coups de langue pointue. Ce désir fou d’être absorbée comme une naïve prostituée bousculée par l'inéluctable frémissement de son corps. Elle me chuchote ces mots civilisés en me haïssant : Je t'aime, je t'aime, mon petit amour !
12.
Chapitre 4. -Le faux voyage. Je m'approche d'elle et lui dis ces mots à l’oreille pour être faux : Le vent est d'une douceur brûlante. Seulement ton souffle, venu de loin pour moi. Quand reviendra ton image flottante sur cet océan calme ? Quand pourrais-je penser clairement sans que ta présence me hante ? Une nuit, je te voyais, chevauchant ces vagues noires flattées d'une lumière de lune. Tu étais toujours là dans ma carcasse rongée d'éternels remords. Même le mouvement continuel de l'eau et du son me paraît ignoble sans tes paroles mélodieuses. Je suis et je serai toujours un sale menteur, un violent. Elle me répond : Je t’aime, je t’aime mon petit amour ! Elle s’enfonce dans le sol pour disparaître complètement. Ces actes primitifs me font mal et me projette au-delà des collines sableuses. Voyageant à une vitesse surprenante, mes joues s'étirent sous la pression du vol. Quelques secondes précieuses s’écoulent. J’atterris dans un café. Une serveuse acharnée vient à moi et dit : Pourquoi es-tu blanc et pâle comme le lait ? D'un élan, je lui transperce le coeur à l'aide de ma chaise verte. Elle me répond, d'un sourire prescrit, que j'ai raison de tuer car la vie est drôlement dure à supporter sans crever des cœurs vivants. Le vent rouge passe entre sa poitrine et amène à mon nez une odeur de tournedos. Moi, impassible, buvant du thé en chantant un air minable de la radio régionale. Je me force à écrire une fausse lettre de voyage que je nomme par goût du désespoir : Oubliez- moi. Quelle belle journée ! Je vous en conjure, je suis en extase devant l'océan et le vent. Pour tout vous dire, le soleil se couche derrière une grande masse rocheuse et moi, seul, j'admire l'événement à genoux en pleurant devant cette grandiose scène de vie irréelle. En moi, une autre scène m'est visible pour un temps indéterminé. Certains rient de moi sur la grande place car je suis victime d'un sentiment paradoxal : j’ai le rire aux lèvres, ce qui fait place à ma dentition jaunâtre et je verse des larmes, ce qui fait place au paradoxe nommé plutôt. Cette drôle de sensation que je ne veux quitter. Mon voyage, j'allais oublier mon voyage. Il se porte aussi bien que mon chandail rouge. Vous savez celui avec un gros cheval sur la manche. Enfin, j'ai bien hâte de vous revoir car j’aurai subitement l'égoïste envie de retourner sur la plage chaude parsemée de vagues douces et claires. J'affirme que je m'intègre à ma vie, seul, ici. Oubliez-moi que je vous idéalise de loin. Je vous aime comme je peux m'aimer. Un facteur moustachu passe par-là pour récupérer ma lettre fraîchement cachetée et m'offre la boîte en bois. La boîte ! Je l'ouvre. Une voix surgit. Elle interroge subitement d’un trait sonore un client du café : Comment pourrait-on vous cerner M. Gilles Réhan ? -Suis-je Gilles Réhan !
13.
Chapitre 5. -Gilles Réhan. - M. Réhan, on vous reconnaît pour vos nombreux ouvrages sur l'ambivalence de la position religieuse en Occident ! Pouvez-vous me dire aujourd'hui pourquoi vous vous acharnez systématiquement aux martyrs contemporains compris dans un système social où l'on refuse le catholicisme. - Vous ne voyez donc pas que je suis en service ? Je suis un martyr du temps, et cela, au plus fort de mes capacités physiques. Tout l'amour que je me porte ne peut être que flagellation assumée par ma constitution et cela au-delà de ce que je pourrais vous dire ce soir. Vous en êtes conscient je l'espère. - J'en suis conscient ! Vous espérez que je sois au minimum dangereux à votre égard. - J'adore cette position car il m'est possible de me substituer à cette autre violence. (Il prend un petit calepin noir.) Vous m'invoquerez un dire qui, je vous en conjure, laissera sur son passage une plaie béante, une brèche foudroyante sur mon corps de mercure. Je veux que l'on risque tout, ma parole sera de sang. - Vous l'aurez voulu, je serai sans pitié. Vous voyez bien que je suis un objet libre, une boîte dangereuse. - Bien sur M. Ox ! Je vais m'y perdre. À vrai dire, je serai la pire des merdes pour me retrouver dans l'amour du geste libre. - Assez d'obscénités, parlez-moi immédiatement des martyrs de votre pays. - Vous m'entraînez rapidement à rendre compte de l'addiction du lieu sacré qu'est l'église. ( Il dit d’un ton sec) : Vous allez donc me dire si je n'ai pas compris le sens de cette question ou je suis un homme mort. -…… - Je serai en vous déserteur. Il faudra vous aussi déserter. Vous êtes prêt Monsieur ? - De quoi parlez-vous Réhan ? Les yeux bien ronds, le teint pâle. Il fait un bond vers l'avant et dit en chuchotant : -Une femme nue parade sur le boulevard pour vous, pour vos yeux ! Elle terminera sa sainte course à la confesse, c'est-à-dire chez le curé, ce maudit modèle de masculinité que toutes les saintes convoitent. - Vous me comparez à un curé ! - Je ne suis pas à la confesse, Ox ! Je ne suis pas cette sainte agenouillée qui gémit d'absurdes prières devant l'image sculptée d'un Christ en croix. Cette forme muette, objet de société religieuse ! La fièvre est misérable depuis que l'Eucharistie se fait rouiller par l'humidité des larmes des fidèles. D’un air détaché, Réhan poursuit en regardant le ciel bleu. -Faites que les obscénités de cette salope d'Eugènie m'excitent jusqu'au plus haut des cieux, cher Maître. Voilà ce qu'il se dit, le curé. Il se flagelle car il pense le pire, c'est un martyr. La pratique de la confession est la dette due à l'inconduite des fidèles moralistes, c'est l'aveu du péché au curé. Je parle ici de cet incapable qui est le modèle issu de nos campagnes, de celui qui ne peut écouter un seul mot d'une confession sans se branler par-delà une fabrique d'images décadentes constituées par l'anéantissement volontaire du désir. Des crimes, des viols, les pires violences se présentent à lui et cela, au-delà de ses idéaux sociaux. - Vous rendez compte d’images qui pourraient faire peur à Dieu le Père. - Oh oui ! Voilà l'exemple que la société religieuse a légué à nos Pères : les déclarations épiscopales invitent tous ses représentants à soutenir les exigences éthiques de la foi pour enfin observer que la confiance offerte aux curés de nos paroisses n'était absolument pas fondable. Les prêtres désorganisent la culture de nos familles par l'interrogation abusive à la confesse. C'est l'angoisse et la peur qui étaient ressenties dans l'architecture de nos somptueux palais administratifs que sont les presbytères et les églises. Régir une paroisse sous des menaces symboliques pour définitivement s’en déroger plus tard à la confesse ou ailleurs par des actes paradoxaux est chose courante à notre époque. Même le droit ecclésiastique nommé par les pécheurs plus que divins accorde aux prêtres le pouvoir d'absoudre la plupart de leurs fautes et cela pour inciter les fidèles à respecter l'ordre sexuel. Une femme peut maintenant être grosse pendant plus de trente ans avec la démente performance de trente cinq orgasmes offerts sans plaisir par son mari. On aurait pu affirmer tout haut qu’elles étaient enfantées par Dieu le Père et cela ne changerait rien au fait. - Le Vatican peut être fier de son entreprise avec des exemples aussi flagrants de sublimation du plaisir sexuel. - Vous parlez bien Ox ! Je suis à même de dire que celui qui croit est un martyr et cela dans l’unique sens qu’il est régi par un autre qui n'est visible et qui peut être idéalisé en tant qu'il peut le protéger d’une mort éminente. Une femme marche nue pour vous ! Vous le savez cela ? Calme, il prend un marteau et le clou vrillé qui flotte dans son café noir et se plante le bout de rouille avec force dans le poignet en esquissant un sourire. M. Ox est impassible, il semble même se dire à lui-même : Voilà un vrai fidèle ! La table en bois s'imbibe de cette couleur fuyante, une teinte de foi. La serveuse acharnée se relève soudainement dans un effort surhumain, les jambes vibrantes, les mains raclant le sol. Elle s'accroche pourtant à Ox et s'en empare en laissant Gilles Réhan sans interlocuteur. Sanglante, elle marche ivre morte en bousculant les clients et se laisse finalement tomber sur la petite scène où Ox se sectionne en deux parties distinctes. Derrière, les rideaux bougent. On entend la respiration décadente d'un asthmatique, une main, avec une montre en or au poignet, dégage les rideaux. Les applaudissements se font immédiatement entendre.
14.
Chapitre 6 -La confession. Un avant-bras s'avance d'un air fier. Il se concentre, les gens se taisent et il dit : La douceur de vivre est éphémère. Le tout est rien et ne donnera jamais rien de plus utile qu'auparavant. Demain, le ciel cramoisi ne sera plus qu’un courant de lumière artificielle. Demain, la pluie tombera pour que je n’aie plus envie de devenir froid comme les cristaux. Demain, il fera encore jour comme à chaque nuit, lorsque je dors et je rêve. Demain, je marcherai comme chaque nuit, quand je vis en rêve. Cette nuit-là, je n’ai pas dormi pour voir si le soleil était vraiment le premier à se lever. Ce soir, je serai mort sans que la nuit ne puisse atteindre le jour. Demain, je me donnerai un autre nom pour vivre dans la fidèle rêverie de l’homme, pour convaincre autrui que la scène de notre espace vital n’est qu’une masse déferlante de scintillement émotif… (Il dit en s’approchant de l’avant scène) La négation grandissante provoque une soif étanche ! J’aurai pu m’y baigner en robe de bal exclusivement pour vous épater. Vous êtes froid comme le béton du pacifique. Vague, vague de nuit lunaire, trompette de la mort bouillante. Pauvre côte ! Pauvre pierre grugée par l’eau incitante. La côte est molle et juteuse. Éroder par le vent chaud, strident. Le vent mord la côte haute, perpétuelle. Pauvre côte ! Nous ne cesserons de nous détruire par l’imaginaire et l’indifférence. Je ne jure que par l’incompréhension d’un être devant un autre, un monde en qui j’ai confiance et qui n’est pas le mien. N’oublions pas que je ne sais pas qui vous êtes et vous non plus. Les yeux fermés, il me semble que nous sommes là. Vague, vague de nuit lunaire, trompette de la mort bouillante. Je pleure d’être comme vous tous ! Les derniers mots qui coulent de ma bouche sont transformés par des inconnus. Il est maintenant trop tard pour dormir.
15.
Le ciel 02:20
Chapitre 7 -Le ciel. La lumière s’éteint rapidement sur l’avant-bras. Progressivement, une femme apparaît langoureusement sur la partie gauche de la scène sur un fox trot. Les clients du café sont silencieux. La femme est immobile. Elle est vêtue d'une fourrure noire. Une fine pluie musicale plane dans l'espace. Un autre homme entre dans la pièce. Il se tient le bras, il semble blessé. La femme s'avance vers lui, il tend la main vers l'avant, afin de l'empêcher de venir à lui. Elle dit : F- Où ? H- Je suis là ! F- Où étais-tu ? H- Je suis las ! F- Où étais-tu ? H- J'étais là où tu ne peux être. Absent. F- Comment peux-tu me dire ça ! Je t'ai tellement attendu, frappe-moi plutôt, frappe-moi ! Elle pleure, elle se tourne tranquillement en baissant la tête et il la frappe sur le dos d’une claque. Elle dit : F- J’ai mal, j’ai très mal. Embrasse-moi. Il l’embrasse dans les cheveux, derrière la tête et elle dit : F- Je hais attendre. Noir. ( Les dernières notes d’un orgue se font entendre dans le noir.) ************************************************************* H- Cette fois-ci… Il dit cette phrase en enlevant son imperméable noir qui est trempé. Il le jette par terre. Il range avec soin son parapluie et s'assied à la table. F- De quoi parles-tu ? H- Je te l'ai toujours dit. Il prend un temps, il allume un petit cigare et réfléchit, il souffle la fumée en disant : H- Tu veux savoir ce qui est impossible ! F- Le gris du ciel. Elle a un petit sourire aux lèvres. Lui, est distrait. H- Je n'en sais rien….. Qu'est ce qui est impossible ? (Il réfléchit) Tout cela m'est interdit. F- Est-ce que tu m'entends quand je te parle ? H- Oui oui, le gris du ciel. F- Je croyais que tu avais dit qu'il était… H- J'ai dit le ciel. Tu sais le bruit, là, ici et là ! Ils se mettent à rire…. Ils arrêtent enfin, ils prennent un temps. H- (imperceptible) On me menace, tu le savais ? F- Mais de qui parles-tu ? H- Une menace. F- Qui ? L’un devant l’autre, ils se regardent dans les yeux. F- Ce n'est pas clair, c'est même très obscur. Je t'avertis, parle. H- Je parle … Je ne fais que cela, parler. (Il hésite. Il se dit à lui-même) Elle m'a cloué, elle ! Je me suis cloué. F- …… Il se déplace. Il est maintenant seul devant le public. Il faisait très chaud cette nuit-là ! Je roulais et roulais sur une route de campagne. Je ne sentais plus la nuit autour. En fait, j'étais absent. Il y avait ces boîtes à l'arrière de la camionnette. La vision morbide de cette cargaison m'arrachait toute envie. Aucun besoin, rien que la vitesse, la route. La lumière des automobiles me guidait comme des phares vers un point inconnu. Je pris une courbe, j'en pris une autre et puis là, droit devant, je vis dans le champ de blé d'Inde, une silhouette blanche. Un corps. En fait, c'était un corps immobile qui était debout. La peur me prit mais je réussis quand même à m'arrêter, à reculer et à me placer devant ce que je croyais être un épouvantail. Je vis une femme, figée comme une sainte dans une niche. Elle me souriait. Je sortis tranquillement de la voiture, je m'avançai vers elle et lui demandai : M- Tout va bien ici ? F- Je marchais dans la nuit, et j'ai vu la lune. M- Vous n'êtes pas perdue au moins. F- Bien sur que non, je vous attendais tranquillement, ici. M- Où ? Qu'est ce que vous dites ? F- Que je suis là. Je suis là car vous y êtes ! M- Je ne vois pas. Où voulez-vous en venir ! F- Je ne veux pas en venir. J'aimerais que vous me reconduisiez où je vis ! Ne vous inquiétez pas, ce n'est pas très loin. Lorsqu’elle m'a dit cette phrase « Ne vous inquiétez pas, ce n'est pas très loin » j'eus le fort sentiment que je n'avais plus rien à redire. Je sentis profondément qu'il fallait maintenant obéir à cette femme. Elle s'avança d'un pas souple, les voiles au vent. Je lui dis très haut : M- Oui, je vous emmène. Dois-je vous ouvrir la portière ? Elle restait là, devant la portière du passager, en regardant le ciel lumineux. Je ne pus m'empêcher de regarder ce visage sans fard qui lui donnait un air de noblesse si beau. Ses yeux noirs, dans une robe parfaitement soignée. Subitement, elle se retourna vers moi en plantant avec aplomb ses yeux dans les miens. Surpris, je me penchai et ouvris la portière. Elle me dit : F- Je suis très étonnée que vous soyez venu. Maintenant, vous allez droit devant, Monsieur. H- Vous pouvez m'appeler Antoine. F- Vous pouvez m'appeler Anne. Cependant, vous n'allez pas m'appeler. Vous allez seulement me demander et je vais vous répondre, d'accord Antoine ? Je roulais avec Anne dans la plaine obscure. Nous ne parlions pas, je demandais et récupérais les indications, qu'elle me dictait sèchement. Des informations dites avec un petit sourire aux lèvres. Je me perdais tranquillement dans le réseau tracé par mon silence jusqu'au moment où mes yeux secs se sont fixés sur cette lourde architecture. H- Vous y êtes, Anne ? F- Vous allez continuer vers l'arrière. Par-là, sur la route de terre. Voilà, c'est bien Antoine. Garez-vous là… Parfait Antoine. Elle restait sans bouger dans l'automobile, je n'osais lui parler. H- Je vous ouvre la portière Anne ? F-……… H- Je vous ouvre la portière ? Je sors de la voiture, mes jambes étaient molles. Je me dirigeai rapidement vers la portière avec précaution. H- Voilà. Elle baisse la tête et me dit : F- Je suis lasse. Pourriez-vous me porter à l'intérieur ? H- Mais …je … je… F- Vous allez me porter Antoine. Elle met les pieds au sol. Je me retourne inquiet. Je sens ses mains sur mes épaules. Elle se jette avec aisance sur mon dos, en criant follement : F- Allez huuuuuue, cheval Antoine huuuue, cheval Antoine, vous êtes mon cheval Antoine. Ces mots. Ses mots me transperçaient comme des lames. Mes jambes soutenaient mal ce poids qui était pourtant si léger. Elle remuait, me talonnait en criant encore et encore dans la nuit : F- Huuuuuue, Cheval Antoine ! Huuuuuuuue ! Droit devant ! H- Où ? Mais où allez vous ? Je galopais. J'avais même la vague impression que je hennissais. Je fonçais, je perdais la tête….. F- Antoine, Antoine vous me faite mal. ( Elle criait en me mordillant le cou ) Arrêtez ! Mais arrêtez ici ! Je tournais et tournais en rond en imitant le mouvement du carrousel. Quand un cri horrible me transperça l'orteil. F- Chevaaaal ! H- Oh, excusez-moi, sœur Anne. Je vous arrête ici. F- (Folle.) Maintenant, vous allez me dire pourquoi vous êtes venu me chercher cette nuit.
16.
Chapitre 8 -Acte 2 : Yeux clos. F- Allez, dites-moi, petit cheval. Elle me considère froidement. F- Allez, dites-moi quelques mots ! Je bredouille quelques mots. : H- Les chairs, Sœur Anne, semblent définitivement rompre les systèmes, traverser de pointes fulgurantes les membres hérissés. Elles torturent les couples, leur crispent les poings. Les femmes blanches comme le lait, un colibri dans les cheveux agonisent à la renverse. Les yeux clos, les dents serrées dans du sang de lèvre de même qu’une plaie. Leurs hommes râlent, prostrés, arborant d’inconcevables phallus sillés de veines. Enchevêtrés dans d’impossibles poses, tous gisent semblables à des cadavres qui se sont brisés les os. Comme des allées de maïs, des hommes et des femmes s’observent les parties génitales en se livrant à des orgies musclées. On urine l’un devant l’autre, taché de sang. Ils assistent à leurs disparitions. Ils conduisent des véhicules les yeux fermés afin de s’organiser des vies dans le bris inévitable des chairs. Le choc des corps sur des fers et des tissus où les rires éclipsent des vérités oubliées. Anne, vous savez que je ne vois plus les objets autour de moi ! Embrassez-moi sur les paupières afin que je puisse encore sentir cette partie coupée de ma pensée. Elle touche dédaigneusement la paupière avec son petit doigt. Je veux que l’on m’atèle et que l’on me juxtapose à une herse solide. En fait, je vous implore de me lancer à l’aurore sur une terre immense pour que je puisse m’y perdre éternellement. Je veux créer des voies asymétriques en avançant des propositions inouïes pour enfin arriver à ma fin. Je veux retrouver ce mot ! Le seul mot qui m’ait été permis de connaître. Elle s’avance tranquillement vers lui et lui dit en fermant les persiennes : F-Il n’y a plus rien à voir que le noir qui détermine le temps et l’espace de votre esprit, de votre jeu, Antoine. Ici, vous allez être maintenant mon cheval, un cheval pour l’éternité… Votre immobilité sera comprise dans la présence complète de ce costume pour que vous puissiez enfin vous perdre dans ce lieu rythmé d’objets incomplets encore jamais imaginés. Le rideau se ferme brusquement… Il n’y a plus personne dans le café…. Fin.
17.
Nerf-01 02:00
Chapitre 9 -Nerfs-01 Je me répète sans cesse les mots ! Un bourdonnement dans tout le corps qui n’a jamais eu plus de sens qu’au moment où je me le rappelle. Les figurants sont des ombres sans formes concrètes, ils nagent dans une masse collante et puante que je nomme espoir. Les regarder passer comme un nuage blanc est si délicieux qu’il est comparable à des crimes sans frontière. Ceci est d’une évidence irrésistible et si délectable que je sieds pour vous dans un sofa dans une parfaite immobilité et vois au fond de ces nerfs crispés nos images criantes.
18.
Nerf-02 02:00
Chapitre 10 -Nerfs-02 Les yeux et les nerfs broyés, il m’est enfin permis de voir ce que je nomme aujourd’hui notre propre mort ! Fin.

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released November 27, 2016

Francis Rossignol : Électroniques, Tables tournantes, texte...

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